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Les enjeux culturels de la traduction dans le bassin méditerranéen

MARTIN DE HAAN – Avant de présenter les participants à cette table ronde, je voudrais commencer par une petite anecdote. Nous sommes ici au bord de la Méditerranée, et il me vient l’image d’un passeur d’eau, qui est bien sûr le traducteur. Quand j’ai utilisé cette expression, passeurs d’eau, dans un manifeste pour la traduction littéraire publié en Hollande, la traduction française du terme néerlandais veerlieden a donné… « gens de plume » ! C’est que le mot veer, bac, a aussi le sens de « plume », et la traductrice a tout de suite fait le lien. Nous nous inscrivons de fait dans un double contexte, à la fois passeurs et auteurs – car une traduction n’est jamais qu’un simple déplacement où le texte reste identique à lui-même, c’est aussi un déplacement dans le sens de transformation, une création d’un texte nouveau (protégé par le droit d’auteur). Nous voici donc cinq passeurs d’eau et gens de plume réunis à cette table : Martin Lexell, traducteur du suédois en espagnol, vivant en Espagne, a notamment traduit Per Olov Enquist et Stieg Larsson ; Ali Benmakhlouf, philosophe, a publié des livres sur Frege, Russell et Montaigne et dirige vers l’arabe la traduction du Vocabulaire européen des philosophies ; Hanneke van der Heijden, hollandaise vivant à Istanbul, traductrice littéraire du turc vers le néerlandais, a traduit notamment Orhan Pamuk ; Khaled Osman enfin, né en Egypte et habitant en France, a traduit entre autres Naguib Mahfouz et Gamal Al Ghitani. Pour ce qui me concerne, je suis président du Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires (CEATL), je vis en France et j’ai notamment traduit Proust, Diderot, Houellebecq, Kundera et Echenoz. Chacun d’entre nous est très actif au-delà du périmètre de la traduction, ce qui est d’ailleurs souvent le cas dans ce métier. Je remarque que trois d’entre nous sont des traducteurs installés dans un pays qui n’est pas celui de leur langue natale. Cela n’est pas courant et je voudrais commencer par demander à Martin Lexell et Hanneke van der Heijden pourquoi ils ont fait ce choix et en quoi cette expérimentation de la différenciation culturelle complique ou facilite leur travail.

MARTIN LEXELL – J’ai commencé à traduire par nécessité quand je suis arrivé à Madrid pour enseigner la langue et la littérature suédoises. J’ai fait la connaissance de mes collègues des pays nordiques qui étaient à Madrid pour enseigner la langue et la littérature finnoises, norvégiennes, danoises ou islandaises. Il y a cinq universités à Madrid, et les postes de lecteur de langues nordiques étaient tous dans des universités différentes. Mais, grâce à de généreux subsides du Conseil des pays nordiques, nous avons pu mener à bien des tas de projets communs. La première chose que nous ayons réalisée était une énorme anthologie de nouvelles des différents pays nordiques, et après ça, nous avons continué ; nous avons réuni, en espagnol, et à l’usage de nos étudiants, environ six anthologies avec introduction et notes de bas de page, sur les différents aspects de la littérature nordique. Je suis arrivé à Madrid à la fin des années quatre-vingts, et je me suis rendu compte qu’en Espagne, presque rien n’avait été traduit en dehors de deux pièces de Strindberg et de quelques romans policiers. J’étais vraiment totalement désespéré quand j’ai compris que rien n’avait été fait, parce que je devais enseigner la littérature suédoise alors que rien de cette littérature n’avait été traduit en espagnol ! C’est ainsi que ça a commencé, et comme certains de mes collègues travaillaient en équipe, avec des écrivains ou des traducteurs espagnols, j’ai décidé de faire comme eux. Depuis, j’ai épuisé quatre de ces collaborateurs et je commence avec le cinquième, parce que c’est un travail difficile (et aussi parce que moi, je suis difficile avec eux…) Mais l’expérience est à la fois amusante et gratifiante, parce que traduire n’est pas une activité très sociale ; on finit par être très isolé. On se bagarre beaucoup, évidemment, sur le plan culturel aussi bien que linguistique ; ça devient même parfois physique ! Mais c’est très enrichissant. Quand on est parvenu à un certain niveau dans une langue étrangère, il devient difficile d’aller plus loin. Comment pourrait-on devenir encore meilleur ? Traduire avec un expert espagnol est une manière extraordinaire de continuer à travailler sur sa propre langue. Quand nous ne sommes pas d’accord sur une traduction, ça devient une bataille, chacun tire de son côté ! Je tire du côté du caractère unique du sens des choses et de la culture nordiques et il ou elle tire du côté de la lisibilité. Le problème c’est que le traducteur avec lequel je travaille fonctionne un peu comme un complice de l’éditeur. Et l’éditeur, ce qui l’intéresse, c’est la lisibilité. Si bien que je suis parfois obligé de me faire très insistant ; c’est une véritable négociation. A la fin, nous faisons une lecture ensemble. Il lit et j’écoute, puis je lis et il écoute. Et là, ce qui compte, c’est comment ça sonne, parce que ça, c’est vraiment fondamental.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Je travaillais déjà comme traductrice littéraire quand je suis arrivée à Istanbul. Je voulais vivre dans le milieu littéraire turc et voir un peu ce qui se passait là-bas. Mais en plus des traductions, j’avais aussi l’intention d’écrire des articles sur la littérature turque pour des magazines hollandais. Il est plus simple de voir ce qui se passe dans la littérature turque si on va s’installer à Istanbul plutôt que de rester à Utrecht… Je coopère aussi avec un autre traducteur, mais pas comme Martin Lexell, parce que dans notre cas, le hollandais est notre langue maternelle, à tous les deux. Nous avons travaillé ensemble pour réunir une anthologie de nouvelles turques qui recouvre à peu près tout, et c’est vrai, nous nous sommes battus, nous aussi. Mais j’aime bien traduire avec quelqu’un d’autre, surtout parce que, comme le disait Martin Lexell, c’est un travail très solitaire ; on est assis devant son ordinateur toute la journée, et ce n’est pas toujours très stimulant. Mais ce qui est plus important encore, c’est qu’on apprend beaucoup des autres traducteurs quand on travaille à deux, parce que la traduction est un travail très créatif, qui demande beaucoup d’ajustements, très fins. Quand deux traducteurs sont devant un même texte, chacun avec son imaginaire et sa connaissance du turc et du hollandais, comme c’est notre cas… Nous arrivons souvent à des solutions que nous n’aurions pas trouvées tous seuls.

MARTIN DE HAAN – En fin de compte, diriez vous que vous avez une seule et même voix, ou y a-t-il partage des tâches ?

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Il y a une division du travail, mais nous essayons de parvenir à une seule et même voix quand tout est fini. Je n’ai jamais entendu aucun lecteur dire qu’il pouvait voir qui avait traduit quoi. En général, quand c’est un roman, par exemple, nous nous partageons le livre, mais pas en deux parties : ce serait trop visible et trop compliqué ensuite d’essayer de gommer les différences qui existent entre nous deux. Non, nous nous répartissons les chapitres, plus ou moins, à tour de rôle. Je me souviens d’un roman de Pamuk, Mon nom est rouge, dans lequel chacun des chapitres était narré par l’un des quinze personnages. Là, nous nous sommes partagés les personnages du roman, chacun avait les siens, et chacun a traduit les chapitres qui leur revenait.

MARTIN DE HAAN – Les différences entre deux langues sont évidemment très intéressantes. Comment est-ce qu’on on travaille quand les différences sont très importantes, comme c’est le cas entre les cultures turque et hollandaise ? Peut-être qu’on s’intéresse alors plus aux qualités intrinsèques de l’auteur ?

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – En tant que traducteurs, nous sommes constamment confrontés à d’importantes différences culturelles, et à des niveaux différents. Je crois que la plupart des lecteurs s’intéressent d’abord aux concepts culturels qui sont très clairement différents et qui sont donc censés être difficiles à traduire. Dans les premières traductions d’ouvrages de la littérature turque en hollandais, le traducteur essayait très souvent d’expliquer en fin de volume les différences entre les deux cultures pour tout ce qui relève de la nourriture et de l’habillement. D’un autre côté, beaucoup de traducteurs de l’allemand vers le hollandais, ou du français vers l’espagnol, rencontrent le même genre de problème, mais pour beaucoup d’entre nous, ces différences culturelles posent moins de problèmes de traduction parce qu’elles ne sont pas si visibles que ça au premier coup d’oeil. Il faut noter cependant que les différences culturelles dépendent beaucoup moins qu’on ne le croit de la géographie ou des distances.

MARTIN DE HAAN – Je me tourne maintenant vers Ali Benmakhlouf, qui dirige la traduction d’un Vocabulaire européen des philosophies ayant pour sous-titre Dictionnaire des intraduisibles. La difficulté concerne-t-elle les concepts en eux-mêmes, ou bien la différence culturelle ?

ALI BENMAKHLOUF – Le Vocabulaire européen des philosophies est une entreprise menée par Barbara Cassin, directrice de recherches au CNRS, avec plus de deux cents collaborateurs qui ont signé des articles distincts dans quinze langues d’Europe. Il y a donc des entrées par le grec, l’anglais, le portugais, l’allemand, etc. Je me suis engagé à diriger la traduction avec dix traducteurs de ce Vocabulaire en six volumes, le premier paraissant à la rentrée. Pour ce qui est du sous-titre, l’idée n’est pas de dire que certaines choses sont intraduisibles, mais plutôt de souligner que on n’a jamais fini de traduire, que le travail de traduction est inépuisable partant du principe que c’est la réalité qui est polyglotte. Et les langues cherchent à saisir cette réalité, c’est pourquoi il y a toujours à resserrer le travail entre le mot de départ et celui d’arrivée, en recherchant moins la correspondance que la précision. Après avoir traduit en français Frege de l’allemand et Averroès de l’arabe, je me suis beaucoup intéressé à Montaigne, un gascon du XVIè siècle qui parlait le latin et écrivait en français. Et mes traducteurs du Dictionnaire parlent le dialecte marocain, égyptien ou tunisien, lisent le français et écrivent l’arabe classique. Ce plurilinguisme permet d’emblée la transposition des idiomes, dans cette « équivocité chancelante du monde » dont parle Hannah Arendt.

MARTIN DE HAAN – Si traduire, c’est faire un transfert, on comprend bien qu’on obtient une chose différente en fin de processus, d’où l’intraduisible.

ALI BENMAKHLOUF – En effet, c’est l’idée qu’il n’y a pas de sens qu’on veut traduire : c’est la traduction qui fait accéder au sens. Diego Marani a dit que le traducteur « invente et transforme », et c’est le cas parce que le traducteur cherche d’abord à comprendre le texte. Et il veut restituer une compréhension bien plus qu’une signification. Si on pose qu’il y a un sens préétabli, on risque de le réifier. Il y a toute une aventure du sens à venir, tenant au rapport du traducteur avec le texte vivant.

MARTIN DE HAAN – Il me semble important de souligner ces propos, car les lecteurs et les éditeurs ne se rendent pas toujours compte que la traduction n’est en rien une activité « mécanique ». Il ne s’agit pas de reproduire un ouvrage à l’identique. Et si l’on tient compte du fait que les langues européennes sont relativement proches les unes des autres, on comprend la difficulté de passer au turc ou à l’arabe.

KHALED OSMAN – Je dois avouer que je ne me rends plus vraiment compte de cette difficulté, puisque ma famille s’est installée en France lorsque j’étais tout jeune. J’ai donc la chance d’avoir toujours baigné dans une double culture – comme le dit un personnage d’Astérix : « je suis tombé dedans quand j’étais petit ». Cela ne signifie pas que les différences culturelles disparaissent, mais plutôt qu’elles sont intériorisées. Sans doute ce contexte peut-il donner une certaine aptitude à comprendre où sont les enjeux dans le passage d’une langue à une autre. Récemment je me suis rendu compte que le clavier d’ordinateur français privilégiait le point-virgule par rapport au point, situé sous la même touche. De fait, les textes français contiennent beaucoup de point-virgules. Ce n’est pas anodin : non seulement la ponctuation donne un rythme à la phrase, mais c’est aussi la manière de penser qui s’y exprime. La langue néerlandaise fait un usage beaucoup plus restreint du point-virgule, c’est pourquoi la question pour le traducteur est toujours : faut-il laisser le point-virgule, ou faut-il le remplacer par un point ou une virgule ?

ALI BENMAKHLOUF – Il y a ce problème vis-à-vis de la ponctuation pour les traductions en arabe, mais la compétence linguistique donne des marges d’appréciation et permettent des choix.

KHALED OSMAN – Dans les romans en arabe, je remarque que la ponctuation est loin d’être la préoccupation première des écrivains. Le traducteur se voit souvent contraint d’en établir une, avec une grande marge de manoeuvre car ne se pose plus le problème de conformité à la ponctuation d’origine.

ALI BENMAKHLOUF – Tout le monde sait que le Coran a été présenté sans ponctuation, versifié et récité comme un formulaire. Cette question a donné lieu à des débats philosophiques, d’autant plus qu’un verset d’une sourate dit qu’il y a « des versets équivoques dont la connaissance est donnée par Dieu [ ] et les hommes de science profonde disent nous y croyons ». Selon que vous inscrivez ou non un point entre les crochets, le sens différera. Averroès lirait comme suit : « il y a des versets équivoques dont la connaissance est donnée par Dieu et les hommes de science profonde. Ils disent nous y croyons ».

MARTIN DE HAAN – La ponctuation peut poser des problèmes redoutables…

MARTIN LEXELL – C’est vrai. La ponctuation est un problème majeur quand on passe d’une langue nordique à une langue romane ou méditerranéenne. Les Suédois ne sont pas des gens froids, je ne le crois pas, mais le suédois est une langue très froide, glaciale, c’est un iceberg. 90 % du sens reste caché ! Tout est entre les lignes, et sous les lignes, et nous sommes des adorateurs du point. Ca vient de notre tradition islandaise. Et la tension qui est créée entre deux propositions principales que sépare un point, ça ne marche pas en espagnol, parce que le lecteur espagnol ne sait pas que c’est à lui de la trouver cette tension, d’aller chercher le sens qui est entre les lignes… chose que ferait un lecteur suédois. Alors, le traducteur est devant un dilemme : quand vais-je supprimer ce point et introduire une subordonnée ? Parce que les Espagnols adorent les subordonnées, ça n’en finit pas, ils en rajoutent, encore et encore… Le suédois est différent : nous voulons introduire cette tension ; nous voulons que le lecteur soit plus actif, qu’il participe. Le problème, c’est que dès qu’on enlève un point, il faut rajouter quelque chose. Quelle conjonction de subordination utiliser ? Qui suis-je pour dire que j’interprète correctement ce que l’auteur a vraiment voulu dire ? Si l’on prend du discours espagnol courant, il y a toujours plus de mots que dans son équivalent suédois. C’est comme avec les commentateurs sportifs : l’espagnol utilisera dix mille mots et le suédois à peine cinq cents ! Per Olov Enquist raconte volontiers une histoire qui illustre parfaitement cette difficulté ; il prétend que c’est une histoire suédoise parce qu’elle est un peu triste ; elle est pleine de mélancolie et de neige… Il fait nuit, la neige est profonde et, sous un réverbère, un homme cherche sa clé. Un passant, plein de compassion, s’arrête pour l’aider mais ne peut pas trouver la clé non plus. Au bout d’un moment, le brave homme demande : « Vous êtes sûr d’avoir perdu votre clé ici ? – Non, je l’ai faite tomber là-bas, sous l’autre réverbère. – Pourquoi est-ce que vous la cherchez ici, alors ? – Parce que c’est ici qu’il y a de la lumière, là-bas, le réverbère est cassé ! » Cette histoire illustre parfaitement le dilemme dans lequel est pris le traducteur : dois-je chercher là où il y a de la lumière ? Parce que cela m’est plus facile et que je peux faire bonne impression sur l’éditeur, mais est-ce que je ne devrais pas plutôt aller chercher ailleurs ?

ALI BENMAKHLOUF – C’est à l’intérieur d’une même langue que la ponctuation pose problème. Chaque texte porte sa propre étrangeté avant d’être transposé. C’est pourquoi en fait quand on transpose, on fait beaucoup plus une interaction entre deux langues qu’un passage d’une langue à une autre.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Pamuk est célèbre en Turquie pour ses phrases très longues, mais je crois que beaucoup d’autres écrivains turcs sont persuadés qu’aucun lecteur turc ne peut les lire facilement, et si on en croit plusieurs des traducteurs de Pamuk, il faudrait couper ces phrases très longues en plusieurs parties.

MARTIN DE HAAN – Je pense au cas de Proust, avec la grande difficulté que nous avons de rendre les longues phrases en néerlandais. On est dans un dilemme, car couper les phrases veut dire aussi : couper le souffl e, couper le rythme, couper la pensée. Et je pense aussi aux textes de Claude Simon, parfois constitués d’une seule phrase… Mais qu’en est-il de l’arabe, langue non européenne ? Est-ce que sa syntaxe est très différente de la syntaxe française ?

KHALED OSMAN – La notion des temps est sans aucun doute très différente. Sans porter de jugement de valeur sur l’approche de chaque langue, on peut tout de même dire que l’arabe ne cherche pas à situer entre eux les différents éléments d’une narration. La traduction vers le français oblige donc à reconstruire le récit. Au point que trois traducteurs d’un même texte pourraient en proposer trois versions différentes sans qu’on puisse dire laquelle est « la bonne » : la traduction n’est pas une science exacte.

ALI BENMAKHLOUF – Le temps, en arabe, c’est l’aspect. On est entouré par le passé, on est entouré par le futur, mais le passé n’est pas avant et le futur n’est pas après…

KHALED OSMAN – Il faut préciser que les traducteurs ne sont pas entièrement libres d’effectuer ces choix comme ils l’entendent : il faut aussi compter avec les éditeurs. Les choix que nous pouvons faire en tant que traducteurs, qui souvent visent à rendre compte de la spécificité de la langue d’origine – tout en respectant, bien sûr, les règles sacro-saintes de la syntaxe et de la correction grammaticale -, ne sont pas toujours suivis par les éditeurs, qui auraient parfois tendance à uniformiser un peu la langue pour la rapprocher de celle parlée à Saint- Germain-des-Prés. Il m’arrive de batailler pour convaincre l’éditeur de la nécessité de garder le ton juste.

MARTIN DE HAAN – Cela varie beaucoup selon les pays. Pour mes traductions, je ne veux pas qu’on change une seule virgule sans ma permission, tandis qu’en Allemagne un rédacteur viendra travailler sur le texte pas toujours selon le goût du traducteur, – traducteur qui, il ne faut jamais l’oublier, est l’auteur de la traduction.

KHALED OSMAN – J’ai la chance de travailler généralement avec des éditeurs qui respectent le travail des traducteurs. Mais il m’est arrivé, dans quelques rares cas, d’avoir des différends au sujet du texte. Dans ces cas-là, il faut trouver un terrain d’entente puisque l’éditeur est légalement responsable de la traduction. Cela dit, dans la très grande majorité des cas, ces discussions sont souvent profitables, voire passionnantes.

ALI BENMAKHLOUF – En général les éditeurs laissent une grande marge aux traducteurs, mais par moments ils accréditent ce que j’appelle le sophisme du paresseux, qui consiste à reprendre le mot tel quel. On trouvera ainsi dans des traductions en arabe le mot français « tabou », ou « sociologia ». Je le regrette, car une langue s’enrichit d’accueillir une autre langue par transposition ou invention plutôt que par réécriture phonétique.

MARTIN DE HAAN – Proust a dit dans une lettre : « pour défendre la langue il faut l’attaquer ». Cela vaut aussi et surtout pour le travail du traducteur : on ne peut défendre une langue en la traitant comme figée dans l’éternité. Les bons traducteurs sont ceux qui osent attaquer les conventions stylistiques de leur langue. Mais après, la traduction terminée, il reste à la proposer au public. La critique littéraire aborde-t-elle de la même façon les textes turcs ou arabes et les textes français ou européens ?

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Aux Pays-Bas, nous avons remarqué qu’il s’est produit un grand changement dans la perception de la littérature turque. Ça a pris longtemps avant que les premiers romans turcs ne soient traduits en hollandais. Jusque dans les années soixante, il y avait très peu de romans traduits, et dans la plupart des cas, il y était question de la vie rurale, celle des émigrés turcs qui vivaient aux Pays-Bas. Les romans turcs n’étaient pas vraiment considérés comme des romans ; on les considérait plutôt comme des sortes de documentaires sur la vie en Turquie. Au cours des années quatre-vingt-dix, les choses ont commencé à bouger lentement, les romans de Pamuk ont probablement joué un grand rôle de ce point de vue là aussi, et aujourd’hui, les romans turcs sont vraiment considérés comme des romans. Une des raisons de ce changement, c’est que dans la deuxième moitié des années quatre-vingts, les Hollandais se sont mis à admettre, petit à petit, que les émigrés faisaient partie de la société hollandaise, et qu’ils n’étaient pas des ‘travailleurs invités’ dont le destin était de ne vivre aux Pays-Bas que durant une période assez courte. L’intérêt anthropologique pour la vie en Turquie a baissé, et cela nous a amenés à avoir un regard plus littéraire sur le roman turc. En même temps, la littérature turque a changé en profondeur. Jusque dans les années quatre-vingts, le roman turc était un roman engagé, très social. Beaucoup d’auteurs écrivaient sur des sujets très politiques ; ils utilisaient le roman comme un véhicule qui leur permettait d’exposer leur conception de la société. Après le coup d’état de 1980, il n’a plus été très possible d’écrire des textes de ce genre, et cela a incité les écrivains turcs à se lancer dans le post-modernisme, comme en Europe occidentale.

MARTIN DE HAAN – Vous pensez donc qu’il vaut mieux que le roman turc soit considéré comme une fiction et non comme une image du pays. Les hommes politiques, ceux qui décident des grandes orientations, parlent beaucoup aujourd’hui de dialogue interculturel, de la nécessité de construire des ponts entre les pays et les cultures, mais le danger, c’est qu’à ce moment-là, la littérature est instrumentalisée par l’idéologie. Khaled Osman Je suis d’accord, il y a souvent risque de malentendu avec ces langues rares ou minoritaires dans le pays d’accueil. Et souvent les gens perçoivent ces livres là comme des documents, ils cherchent à y trouver quelque chose d’autre qu’une simple fiction. Cela peut être un peu d’exotisme, comme ce fut beaucoup le cas au XIXe siècle, et cela se retrouve souvent dans le titre choisi par l’éditeur. Je pense par exemple à Nagib Mahfouz, dont la traduction littérale du titre d’un de ses livres serait « les enfants du quartier », l’éditeur ayant finalement opté pour « les fils de la Médina ». Or, la Médina est ici hors contexte ! De plus, le roman est allégorique, le « quartier » signifiant en réalité le monde. Cette tendance à l’exotime perdure donc. Il y a une autre tendance, qui est de voir un caractère politique dans chaque roman, attendu comme un pamphlet ou un brûlot. Et cela n’est pas sans conséquences : j’ai traduit l’année dernière une auteure palestinienne féministe, à la vision nuancée, dont le roman est resté ignoré des médias car il ne s’inscrit dans aucune de ces deux tendances.

MARTIN LEXELL – En Espagne, nous sommes obligés de nous battre sans arrêt contre l’idée que les Espagnols se font de la Suède, contre les stéréotypes, en ce qui concerne les Suédoises surtout… Et dans la littérature, nous avons quelque chose comme deux sectes différentes, les élitistes, qui s’occupent d’une littérature de qualité publiée dans de petites maisons d’édition, avec des introductions écrites par le traducteur ou le professeur d’université qui aura réussi à convaincre l’éditeur de publier le livre, même lorsque celui-ci a tendance à objecter que « Ce n’est pas très suédois, non ? » Ici, « suédois » veut dire existentialisme angoissé et torturé à la Bergman, ou guerre des sexes bien sanglante comme chez Strindberg. Et si ce n’est pas le cas, eh bien ce n’est pas très suédois. Du coup, la ‘raison d’être’ de la littérature suédoise en Espagne c’est parfois sa « suédosité ».

MARTIN DE HAAN – Ça me fait penser à Milan Kundera qui disait qu’un bon romancier écrit contre son pays, pas pour. Ce qui veut dire que nous devrions faire très attention à ne pas commettre l’erreur de prendre les écrivains pour de simples produits de leur pays et de leur culture.

ALI BENMAKHLOUF – La situation insolite, celle qui fait rire, est symptomatique car la traduction passe par la transgression des représentations identitaires. Et toute demande de conforter ces représentations identitaires travaille en fait à contre emploi. Vous avez évoqué le domaine de la réception, de l’attente, mais il y a aussi l’effet médiatique des dernières publications, qui entraine les éditeurs à acheter plus facilement les droits des livres récents. Au Maghreb ou au Liban, pour les sciences humaines, on achètera plus facilement Michel Foucault que des textes plus anciens, y compris de Sartre. Les dernières revues européennes de livres sont suivies à la trace et on achètera le livre dont on parle, qui peut être un horrible livre… Cela en dépit d’immenses lacunes, je pense en particulier à Montaigne, resté sans traduction arabe pendant quatre siècles. Ma traduction ne porte pas sur l’ensemble des 1500 pages des Essais, mais vise à constituer une bonne anthologie d’environ 400 pages. Il y a comme cela des effets de lacunes, des effets de médias dans la réception, et il est vrai qu’il faut rester vigilant si l’on ne veut pas voir des écoles de pensée totalement ignorées. Ainsi, en philosophie, tout l’empirisme et le scepticisme anglo-saxon passe à la trappe, très peu traduit. Hume, Locke, Lewis Caroll…

MARTIN DE HAAN – Il est très intéressant de savoir quels textes sont traduits et lesquels ne le sont pas. Et pour quelles raisons. Le problème des traductions vers l’arabe est que souvent on passe par l’anglais.

ALI BENMAKHLOUF – C’est un gros problème : on va traduire Descartes à partir de l’anglais dans les pays qui ont été sous protectorat anglais, mais aussi Nietszche à partir du français au Maroc… Il existe pourtant là-bas un bon département d’allemand, mais les philosophes marocains qui traduisent ont pour la plupart suivi un troisième cycle en France, connaissant bien la langue française et se lancent, de façon un peu aventureuse, dans une traduction à partir du français, ce que l’on pourrait déplorer.

MARTIN DE HAAN – Le succès du dialogue interculturel peut être remis en question si l’on compare les très nombreuses traductions en arabe de textes européens, et le faible nombre de traductions en Europe depuis l’arabe. En Hollande, en 2005, 75 % des textes traduits venaient de l’anglais, et juste un peu plus de 0 % de l’arabe ou du turc. En Angleterre, 3 % seulement des ouvrages proposés sont des traductions, contre 12 % en France et 35 % en Hollande.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Je crois que la même chose est vraie pour la Turquie. Il y a bien plus d’ouvrages traduits en turc qu’il n’y a d’ouvrages turcs traduits dans les langues européennes. Qui plus est, la majeure partie des livres traduits en turc viennent principalement du marché d’Europe de l’Ouest. Il n’y a pratiquement pas de traductions depuis l’arabe vers le turc ou depuis le farsi vers le turc. Et quand ces traductions existent, il s’agit en général d’ouvrages qui ont connu le succès en Europe de l’Ouest. Et bien que tous ces pays soient géographiquement très près les uns des autres, les traductions sont faites à partir de l’anglais et pas à partir de la langue originale.

KHALED OSMAN – Cela rappelle un peu l’absence de lignes aériennes entre pays transversaux : pour aller du Caire à Bamako, il est plus simple de passer par Paris ! Qu’il s’agisse de la Turquie ou des pays arabes, il y a un intérêt réel en France pour cette région du monde, mais cet intérêt ne s’étend pas suffisamment à la fiction romanesque dans ces pays. Il y a là une situation inversée par rapport à d’autres régions dont les gens lisent volontiers les livres tout en n’exprimant pour ces cultures qu’un intérêt modéré.

ALI BENMAKHLOUF – Deux éléments conjugués vont dans le sens de ce déséquilibre que vous avez signalé : d’une part il n’y a pas de rayonnement en Europe à partir des ambassades arabes, par exemple pour donner un prix de traduction de l’arabe, alors que l’inverse existe. Je reviens du Maroc, où l’ambassade de France et le Bureau français du livre viennent de distribuer un prix spécial pour la traduction du français vers l’arabe. L’autre explication du déséquilibre est que beaucoup de choses s’écrivent dans les langues européennes, prenant comme cadre ou champ d’investigation les pays arabes. On trouvera ainsi pour les sciences humaines beaucoup de titres sur l’islam, et même des fictions écrites par des auteurs connus francophones, comme si cela dispensait de connaître le livre qui serait traduit de l’arabe.

MARTIN DE HAAN – Un sociologue hollandais, Abram de Swaan, a constaté que la puissance d’un pays dans le concert mondial détermine le nombre de traductions. Plus l’infl uence du pays est faible, moins il y a de traductions de sa langue, et plus dans sa langue.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Il y a deux ans, en Turquie, le ministère de la Culture et du Tourisme a mis au point un système destiné à subventionner les maisons d’édition étrangères désireuses de publier des livres turcs en traduction, en particulier dans les langues européennes. Il est étrange de constater que parmi les traductions qui reçoivent ainsi une aide, il y a pas mal de livres qui se vendront très bien de toute façon, des romans d’Orhan Pamuk par exemple…

KHALED OSMAN – Pour ce qui est des subventions gouvernementales, cela peut parfois conduire à des choix un peu étranges. Un gouvernement qui entreprendrait de choisir lesquels des auteurs nationaux seront traduits aura tendance à privilégier les auteurs alignés sur le régime, ou en tout cas les plus dociles. C’est pourquoi je me méfie toujours quand les gouvernements subventionnent des traductions à l’étranger. Les subventions peuvent être une très bonne chose localement, lorsqu’il s’agit de soutenir un programme de traduction d’auteurs occidentaux vers l’arabe, mais pas dans l’autre sens.

MARTIN LEXELL – La situation entre les pays de langue suédoise et les pays de langue espagnole est bizarre à cause de la présence en Suède d’un grand nombre d’immigrés venus d’Amérique Latine. En règle générale, les livres suédois doivent d’abord passer par l’Allemagne et la France avant d’arriver sur le marché espagnol. Il n’y a pas beaucoup d’échanges directs entre l’Espagne et la Suède, mais il y en a beaucoup entre la Suède et les divers pays d’Amérique Latine.

MARTIN DE HAAN – Les subventions gouvernementales tendent à faire des livres des produits d’exportation, ce qui peut être dangereux. J’applaudis donc ce qu’a dit Diego Marani : L’Europe, neutre parce qu’elle n’est pas une nation, échappe à cette tentation de promouvoir le livre national. Il serait intéressant de savoir si les subventions qui vont des Etats vers les éditeurs d’autres pays profitent réellement au traducteur, dont la situation matérielle est en général très mauvaise, comme l’a montré l’enquête menée par le CEATL. Qu’en est-il dans les pays arabes ?

ALI BENMAKHLOUF – Les traducteurs n’y bénéficient pas de subventions, mais on sent un frémissement avec le projet de traduction de cent titres du monde à Abu Dhabi, parmi lesquels dix titres français, tous du XXè siècle. Il y a aussi l’organisation arabe pour la traduction, qui a fait paraître beaucoup de livres de très bonne tenue. Cette fondation libanaise, à travers des spécialistes des sciences et de la philosophie, pilote plusieurs ouvrages de traduction, notamment de Wittgenstein et Hegel récemment, de très bonne qualité. Et cette fois, la traduction se base sur la langue originale du texte. Les traducteurs y sont correctement payés, contrairement à ce qui se passe à Abu Dhabi. Là-bas, on leur donne mille pages, en leur disant qu’ils ont trois mois pour en terminer la traduction. Au prix de cinq dollars la page.

MARTIN DE HAAN – Il y a pourtant un lien évident, s’agissant de professionnels de la traduction, entre le niveau de rémunération et la qualité du travail rendu. Dans les pays arabes, la situation est-elle comparable à l’Europe, où beaucoup de traducteurs sont obligés d’avoir un autre métier à côté ?

KHALED OSMAN – Je ne pense pas que ce métier soit institutionnalisé dans les pays arabes. Il s’agit plutôt de professeurs d’université ou des personnes de double culture. A ma connaissance, il n’y a pas de représentation professionnelle et les travaux sont confiés de gré à gré.

MARTIN DE HAAN – Les livres parus au Maroc par exemple sont-ils lus en Egypte ?

ALI BENMAKHLOUF – Oui, parce qu’il y a une maison d’édition, le centre culturel arabe, basée au Maroc, qui édite matériellement l’ouvrage à Beyrouth et qui est présente sur toutes les foires du livre arabe, relativement nombreuses. Ce centre a d’ailleurs été choisi par Seuil et Robert pour la traduction. Par contre, la diffusion dans le monde arabe des petites maisons d’édition est une catastrophe. Il y a de très bonnes choses traduites, on trouve par exemple 400 livres traduits par le ministère de la culture syrien. Mais ils ne sont distribués nulle part : il faut se rendre au ministère pour se procurer un ouvrage… La diffusion pose donc d’énormes problèmes, et même le centre culturel arabe, très connu et présent, ne diffuse que ses propres productions. Je connais un certain nombre de très bons petits éditeurs, en Tunisie, en Algérie ou au Maroc, qui disposent d’un beau catalogue mais dont les livres ne sont nulle part.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Il faut dire que la distribution des livres ne fonctionne pas très bien en Turquie non plus. On ne trouve de bonnes librairies que dans les trois villes principales du pays. En dehors d’Istanbul, Izmir et Ankara, on est obligé d’aller sur internet pour acheter ses livres, sur Amazon par exemple, ou sur un site turc de vente de livres.

ALI BENMAKHLOUF – Heureusement le génie humain est grand : il suffit de sortir une édition à deux euros pour voir le livre apparaitre dans les kiosques à journaux.

MARTIN DE HAAN – Après avoir encerclé et discrètement approché le thème quelque peu grandiloquent de cette table ronde, à savoir les enjeux culturels de la traduction dans le bassin méditerranéen, je voudrais maintenant le confronter directement, en guise de conclusion. J’invite donc chacun d’entre vous à formuler un point ou point-virgule final.

KHALED OSMAN – Il faudrait quelques heures pour entrer dans le détail de cette question, mais il me semble que ce problème se pose en termes de responsabilité. Responsabilité du traducteur, mais aussi de l’éditeur et des médias, dans l’instauration d’un dialogue et d’un échange entre les différentes cultures. Le traducteur en suggérant des titres qui mériteraient d’être traduits, l’éditeur en sélectionnant ceux d’entre eux qu’il juge intéressants. Bref il s’agit de faire des choix déterminants pour une meilleure connaissance mutuelle. Ces choix peuvent conduire à certains malentendus : par exemple en Egypte, auteurs et critiques littéraires se plaignent souvent que la carte des auteurs égyptiens traduits en France ne reflète pas le panorama de la littérature en Egypte. Des auteurs qui, vu de là-bas, sont considérés comme très bons ne sont pas traduits, tandis que d’autres, jugés de moindre valeur, remportent curieusement de grands succès en traduction. Bref, l’échelle des valeurs est différente, ce qui selon moi n’est pas propre à la langue arabe. C’est un reproche généralement injuste (il est normal que certains auteurs se prêtent mieux à la traduction que d’autres), mais il peut être partiellement justifié quand on voit que les acteurs culturels en France ou en Europe ont tendance à choisir les oeuvres qui confortent les clichés occidentaux au sujet du monde arabe. C’est à chacun de prendre ses responsabilités en la matière.

MARTIN LEXELL – Depuis que j’ai commencé à enseigner, et j’enseigne encore, j’ai toujours pensé que nous avions le devoir d’exposer les citoyens européens à d’autres langues, de les « contaminer », de manière à les amener à acheter des livres traduits en plus grand nombre. C’est triste de voir que la Suède a décidé de réduire le nombre de langues enseignées dans le secondaire. Anglais mis à part, il y a aujourd’hui beaucoup moins de gens qui apprennent des langues étrangères.

ALI BENMAKHLOUF – Tout à l’heure vous avez dit qu’une traduction arrivant dans un pays manifeste la domination de la langue première. Mais dans le bassin méditerranéen, la perte de la maîtrise du français durant les trente dernières années a fait perdre la maîtrise de l’arabe aussi. Parce que pour bien connaître une langue, il faut en parler au moins deux.

HANNEKE VAN DER HEIJDEN – Quand on regarde le choix de littérature turque qui est offert, il y a très peu de différences d’un pays à l’autre. La plupart des maisons d’édition des Pays-Bas publient des romans qui ont déjà été traduits en anglais, en français ou en allemand…

KHALED OSMAN – La critique littéraire a aussi une part de responsabilité. Par exemple, on ne peut que s’étonner de la place prise par la fiction anglo-saxonne, qui semble un peu hors de proportion. Autant on pourrait comprendre un certain déséquilibre pour le domaine des sciences ou des essais, autant pour la fiction on peut s’interroger. N’y a-t-il pas aussi une paresse de la critique, qui n’est pas prête à s’aventurer hors de ce qu’elle connait déjà ? Il est certes plus facile de parler d’un livre anglo-saxon, dont un minimum de vernis culturel permet de dire quelques mots, que de faire une recension d’un ouvrage issu d’une autre culture.

MARTIN DE HAAN – Pour terminer je voudrais attirer votre attention sur un beau projet qui s’appelle « Traduire en Méditerranée », et qui vise à dresser un état des lieux de la problématique qu’on vient de discuter. J’espère que nous pourrons en étudier les résultats concrets lors d’un prochain forum !

[Transcription d’un débat animé par Martin de Haan qui a eu lieu à Marseille le 19 juin 2009 dans le cadre du colloque Mare Nostrum, organisé par la Société des Gens de lettres (SDGL) en collaboration avec la Fédération des Associations Européennes d’Ecrivains (FAEE /EWC). Les actes du colloque peuvent être téléchargés ici, un exemplaire édité peut être envoyé sur simple demande par mail. Texte reproduit avec l’aimable permission de la SDGL.]